Quel livre choisir pour la première chronique ? Voilà la question bien délicate à laquelle je suis précisément censé répondre maintenant… Roulement de tambours…
J’avoue surjouer le suspens car suspens il n’y a
pas eu. Mon choix a été rapide et définitif. L’heureux ( ?) élu est La
Route de Cormac McCarthy.
Cormac McCarthy, 81 ans, quarante ans d’écriture, est
l’auteur d’une poignée de romans : Le Gardien du verger (1965),
L'Obscurité du dehors (1968), Un enfant de Dieu (1974), Suttree (1979),
Méridien de sang (1985), De si jolis chevaux (1992), Le Grand passage (1994),
Des villes dans la plaine (1998), Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme
(2005), La Route (2006).
Dix romans qui l’on imposés comme une voix majeure, un
maître des lettres américaines aux côtés de Philip Roth, Toni Morrison et Don
DeLillo. Egalement scénariste, il a récemment écrit Cartel, le film de Ridley
Scott.
Auteur qui cultive sa discrétion, ses apparitions
médiatiques sont aussi rares que sa légende est grande. Il faut attendre
qu’il soit lauréat du très prestigieux Prix Pulitzer pour qu’il accepte de
venir sur le plateau d’Oprah Winfrey le 5 juin 2007.
Cormac McCarthy réécrit l’histoire de l’Amérique par
le prisme de son plus grand mythe : l’ouest. Le western est un genre que
McCarthy aime réinventer. D’abord comme une odyssée crépusculaire dans Méridien
de Sang puis dans sa trilogie des Confins où il redéfini la notion de frontière
à travers le destin de deux adolescents. Les thèmes propres au western sont
souvent présents dans les romans de McCarthy, même ceux qui n’en sont pas à
proprement parler. Il faut cependant ajouter un bémol : il serait
infiniment réducteur d’enfermer les textes de McCarthy dans ce
« genre » qu’il transcende et dépasse en explosant tous ses codes.
« Quand tu n'as rien d'autre, construis des cérémonies à partir de rien et anime les de ton souffle. »
La Route est une œuvre centrale dans la bibliographie
de McCarthy. Le roman, qui vaut à l’auteur le Prix Pulitzer, est en même temps
l’essence de son œuvre qu’un texte d’une singularité bouleversante. Poème
métaphysique, méditation terrible sur la solitude et la fin d’un monde, La
Route c’est l’histoire d’un père et de son fils qui lutte pour survivre dans un
monde dévasté où le bien et le mal sont des repères aussi dépassés que
nécessaires.
Tout est gris, poussiéreux, brisés, morts. Une
catastrophe naturelle dont on ne sait rien a arraché la vie à notre monde.
Certains ont survécus, ils luttent pour survivre. Voilà le cadre du roman dont
le titre évoque le seul espoir de rédemption : prendre la route, avancer,
aller vers la mer ou peut-être il sera plus aisé de (sur)vivre.
Au-delà de l’histoire, la prouesse de McCarthy dans La
Route, c’est son style absolument incroyable. Il ne raconte pas, il peint. Tout
est cendre, jamais un auteur n’avait su à ce point rendre l’ambiance d’un monde
détruit dans lequel il ne reste que des fantômes luttant chaque seconde pour
garder l’espoir et la vie. La force de La Route c’est que de la dévastation,
McCarthy fait surgir une beauté brute à coup de phrases courtes, minimalistes,
dépouillées à l’extrême qu’il assène pages après pages. Il ne reste dans son
écriture que l’essence des choses, rien de plus. Pas d’effet de style superflu,
ni de construction alambiquée, juste ce qui est et qui doit être dit au
lecteur.
« Peut-être que dans la destruction du monde il serait enfin possible de voir comment il était fait. Les océans, les montagnes. L'accablant contre-spectacle des choses en train de cesser d'être. L'absolue désolation, hydropique et froidement temporelle. Le silence. »
L’écriture de McCarthy propose une expérience unique
qui m’a bouleversé par sa simplicité, sa justesse et sa beauté. C’est assez
difficile de décrire cette lecture tant elle se vit de manière sensorielle.
J’ai été embarqué dans ce tourbillon, je l’ai lu d’une traite une nuit, j’étais
littéralement plongé dans ce monde suivant le destin de ce père et son fils,
ému par leur marche sans fin, ému par ce monde détruit, ému par l’éclat et la
violence d’évocation d’un écrivain génial.
« Elle était partie et le froid de son départ fut son ultime présent. Elle ferait cela avec un éclat d'obsidienne. Et elle avait raison. Il n'y avait pas à discuter. Les centaines de nuits qu'ils avaient passées à analyser le pour et le contre de l'autodestruction avec le sérieux de philosophes enchaînés au mur d'un asile d'aliénés. Elle, toujours si décidée, à peine surprise par les circonstances les plus insolites. Une création parfaitement agencée pour aller au-devant de sa propre fin. »
Un pur chef d’œuvre.
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